Sergio Leone, après les monuments Il était une fois dans l'Ouest et Il était une fois la révolution, revient à un cinéma moins lyrique et, faussement, plus léger, avec ce singulier western, "Mon nom est personne",
dont il laissera l'intendance à un de ses adjoints, Tonino Valerii, qui fut un de ses assistants réalisateurs dans la Trilogie du $.
La scène d'ouverture, spécialité de maître Leone, ressemble, dans sa construction, comme deux gouttes d'eau à celle d'Il était une fois dans l'Ouest, exposant, solennellement, la problématique du film, qui tournera autour du fardeau de la célébrité, dont voudra s'extirper, Jack Beauregard/Henry Fonda.
Ici, ce n'est pas dans une gare perdue en plein désert, mais dans un village campagnard, que trois outlaws, voulant défier ce pistolero de Beauregard, vont se ramener, avec cet art du portrait, chez le maître italien, qui donne un tempo "pianissimo",
fixant ces visages mal rasés,
et ces outlaws aux yeux bleus,
le bleu, qui sera le fil conducteur chromatique du film !
Ici, ce n'est pas une "femme à sa fenêtre", procédé narratif que Leone stigmatisait comme inutile, mais un enfant, qui de ses quelques années, aperçoit, le premier, ce trio de "traîne-savate".
Chez ce barbier maîtrisé,
dans un silence de cathédrale, c'est Steve Kanaly, futur Ray Krebbs, dans la série culte Dallas,
qui va essayer de duper Jack Beauregard, comptant y faire son affaire avec une lame de rasoir bien affûtée !
Mais Beauregard n'est pas né de la dernière pluie, et la gâchette américaine aura sa barbe faite, à l'aide d'un Colt bien placé,
dans un singulier silence,
et une attente oppressante,
qui se résoudra dans un duel final vite réglé, par un Beauregard enfin rasé !
Scène d'ouverture interminable et emphatique, dont Leone a le secret, sans dialogue, avec une caméra qui portraitise des personnages immobiles, qui se meuvent, parfois, dans une langueur monotone, tableaux ponctués par des bruits prosaïques, ici le caquètement d'une poule, là le son d'une lame sur une peau mal rasée. Mais ici, la scène d'ouverture posera le paradigme du pistolero, homme seul et sans famille, au prise avec des cow-boys belliqueux, prêts à tout pour se mesure à une légende de l'Ouest !
Scène d'ouverture, clin d'oeil à Il était une fois dans l'Ouest, à laquelle succède un autre passage, au registre plus comique, contraste typique du western italien, qui peut passer du tragique à la comédie sans barguigner ! C'est Personne/Terence Hill,
acteur sur-signifié par son rôle de Trinita, facétieux héros du western spaghetti, qui indique que "Mon nom est personne", naviguera aux frontières de la comédie, registre qui déplaît souvent aux fans du pur western classique hollywoodien !
Jack Beauregard, un nom qui sied bien aux yeux océans d'Henry Fonda, qu'aimait tant Leone,
et le curieux Personne, aventurier odysséen, vont se croiser autour d'un poisson,
puis dans un saloon où le prodigue individu,
en mangeant son plat d'haricots, et au grand étonnement de Beauregard,
se fait le dépositaire de l'histoire mouvementée et plombée, du vieux pistolero !
Tout le film va alors tourner entre la relation Personne//Beauregard, entre le maître, fatigué,
et l'élève admiratif,
dans un numéro de duettistes et une floraison de bons mots qui finiront par deux trous dans un chapeau,
et une complicité nouvelle, face à une "horde" très "Pékine Païenne",
hommage de l'italien au vieux borgne américain, qu'était Sam Peckinpah, apôtre défroqué du réalisme westernien et esthète d'une violence qui rompra avec le style classique. Autour du mano à mano Personne//Beauregard, vont alors se déployer des personnages pittoresques, comme l'Anguille,
grotesque cow-boy qui sera vite le faire-valoir de Terence Hill, dans la fameuse scène du "tirage" des verres à whisky,
et donnera l'occasion au facétieux Personne de ridiculiser un homme de main,
du méchant et retors Jean Martin,
qui tentera de soudoyer, en vain, le bon samaritain !
Action, alors, qui va tomber dans un délire réjouissant, relevant des pieds nickelés, avec un Personne s'en donnant à coeur joie,
distribuant gifles et gnons à tire-larigot, pour le plus grand plaisir du spectateur, sous le regard hilare d'un vieux marigot !
Un Personne aussi leste avec ses poings qu'avec sa langue, capable de narrer, avec expressivité,
la fable du coyote et de l'oisillon,
ravissant un auguste public,
avec ce petit vieux, à la ganache incroyable, américain retraité, qui vivait dans la région d'Almeria, où fut tournée le film !
Typique du cinéma italien, capable de traiter de sujets graves avec une légèreté pétillante, Leone alterne entre le grand guignol et la réflexion quasi philosophique, brodant autour des affres de la célébrité, fardeau que ne peut plus supporter un Jack Beauregard fatigué,
et dont rêve le facétieux Personne !
Une dernière fois, le vieux cow-boy épuisé, donnera un dernier récital,
sous le regard malicieux du roué Personne,
qui roula un conducteur de train fellinien !
Seul contre la Horde, Leone, dans une orgie d'explosion,
narre le dernier baroud d'honneur du futur retraité, qui se finira autour d'un bon plat de ...fayots !
Il restera à scénariser le dernier duel, Personne
contre Beauregard,
match arrangé, sous l'oeil des photographes, pour permettre au vieux Jack, d'enfin disparaître,
pour une retraite bien méritée,
laissant à Personne,
le soin de se taper des faux barbiers,
qu'il neutralisera à sa façon ...
Western réjouissant, entre farce et conte philosophique, Leone nous amène sur les rivages janusiens de la comédie à l'italienne, dans un western délirant qui tranche de sa production précédente. Bourré de clins d'oeil cinéphiliques, de la tombe d'un certain Peckinpah à la scène d'ouverture très "Il était une fois ...", agrémenté de portraits pittoresques, qui font de Leone un Titien prosaïque, le maître italien, au travers des regards bleus du duo Hill//Fonda, évoque les relations entre la grande et la petite histoire, la fascination de la célébrité et la construction de la réalité par les médias. Henry Fonda, en pistolero fatigué, nous brosse un Jack Beauregard lucide et désabusé, amusé par le brio d'un Personne, lutin admiratif qui veut surpasser le maître. Ce film sur les affres de la célébrité, métaphore sur la fin du western hollywoodien, aux héros positifs et aux messages moralisateurs, est à comparer au crépusculaire Le dernier des géants, de Don Siegel, avec John Wayne, qui traite du même thème avec une approche beaucoup plus classique.
Avant de mirer l'histoire du coyote et de l'oisillon, répondez à ce QUIZZ sur Terence Hill.