Produit par Howard Hughes et Howard Hawks, en dehors des grands studios, le film, eut du mal à se monter, puisque ces derniers mirent des bâtons dans les roues aux deux francs-tireurs, ce qui peut expliquer un casting de second ordre, Paul Muni, jouant le rôle de Scarface, n'étant pas un astre d'Hollywood !
Le générique commence sur un curieux message, véritable pamphlet anti-gangster qui met en cause le gouvernement de Hoover !
Le ton est donc donné, dès le début, avec une attaque en règle du gouvernement, une sorte de choix politique assumé, juste avant les élections présidentielles de 1932, qui verront Franklin Delano Roosevelt engager son premier mandat.
La scène d'ouverture restera célèbre pour son dépouillement et ses effets de caméra, jouant sur l'implicite et le non-dit, puisque du meurtrier, seul un sifflement et une ombre le caractériseront.
Dans la 22nd Street,
une silhouette inquiétante rôde,
elle ira, nonchalemment, à sa malheureuse victime, Costillo, un caïd de la pègre...la guerre des gangs aura bien lieu !
J'avoue que je ne connaissais guère ce Hawks styliste, qui, après la guerre, utilisera moins de fioritures pour narrer son action ! Très rapidement, le spectateur pressent que Tony Carmonte, le "balafré", joué par Paul Muni, doit y être pour quelque chose,
comme le pense la Police ! Mais Muni, légèrement provocateur,
nargue les forces de l'ordre,
et se paie la tête d'un inspecteur, intouchable qu'il est !
Car Tony Carmonte, tueur au service de Johnny Lovo,
est là pour faire le ménage, mu par une ambition sans bornes, symbolisée par ce luminaire qui fait face à sa demeure ...
Avec son acolyte, Guido Rinaldi, joué par l'élégant George Raft,
et malgré les menaces,
Scarface va faire régner la terreur pour imposer les désirs de son patron !
Au cours d'une scène mémorable, réunissant Lovo et d'autres bootleggers
, où Hawks se livre à une série de portraits léonesques,
le boss et son adjoint Scarface, vont s'imposer comme les patrons de la ville !
Un superbe exercice de style, qui me rappelle les portraits du Titien, une série de trognes gangsteriennes dont un Lautner s'inspirera, beaucoup plus tard !
Mais le monde des gangsters a ses propres lois qui n'ont rien à voir avec le Droit ...et les résistances vont déchaîner la furia du "balafré",
véritable psychopathe, qui se sert de sa mitraillette en rillant aux éclats, image diabolique que Hawks donne des gangsters italiens ! Car le réalisateur américain enfoncera le clou, dans son scénario, en faisant dire à un juge que tous ces gangsgters qui grangrènent la cité, sont des étrangers, un stigmatisation de la population d'origine italienne qui traduisait un certain racisme ambiant, dans les USA des années 30.
Tony Carmonte nettoie la ville et monte en grade, et la soie et les barreaux de chaise,
remplaceront le mauvais tissu et les clopes bon marché ! Mais la violence de Scarface, irrépréssible,
l'élimination de Gaffney, l'irlandais, joué par Boris Karloff,
l'attitude sans ambiguité que le "balafré", tout puissant, a avec la poule de son boss,
vont sceller le début de la fin pour Scarface. Johnny Lovo, débordé par la violence de son subordonné, essaiera de l'éliminer, mais, échouant, il sera occis par le pistolero !
Perdant toute mesure, enragé par les infidélités de sa soeur, dimension inscestueuse du personnage qui transparait clairement, Carmonte tue alors son meilleur ami, Guido Rinaldo, coupable d'avoir couché avec la belle ...On ne transige pas avec l'honneur !
Poussé par sa folie meutrière, Scarface finira alors dans un feu d'artifice hystérique !
Servi par un extraordinaire Paul Muni, sauvage et élégant, mi-ange, mi-bête, qui joue un gangster italien à la violence hystérique, figure diabolique de l'étranger qui corrompt les vraies valeurs américaines, Scarface, qui aura vécu par l'épée, périra par l'épée ! Il faut noter que la censure de l'époque, dirigée par le Code Hays, découpera méchamment le film, pour aseptiser cette histoire amorale ! Du reste, de 1947 à 1980, le film sera quasi-invisible aux USA, victime de sa réputation et de producteurs peu aimés par le milieu, notamment Hughes !
Au-delà de l'histoire, Scarface donnera l'occasion à Hawks de donner sa pleine mesure, en jouant sur les points de vue esthétique, abusant de gros plans-portraits, utilisant, avec bonheur, la métonymie, suggérant la violence plutôt que la montrant,
et narrant son film avec des effets de style qu'on ne lui connaîtra plus vraiment, par la suite, faisant de Scarface, un véritable chef d'oeuvre formel, un peu atypique dans l'oeuvre du réalisateur américain.
Quant à Paul Muni, véritablement génial, dans cet opus, on pourra s'étonner du peu d'éclat que sa carrière aura, par la suite, malgré un Oscar pour le rôle de Louis Pasteur (sic).
La scène d'ouverture, mythique, avec ce curieux message des deux producteurs, instrumentalisant l'histoire à des fins politiques ...