Vera Cruz est un film clef dans le western américain. Jusque là, le genre alternait entre le paternalisme fordien et manichéisme hawksien, et se résumait à des grands archétypes incarnant le Bien et le Mal, la loi et l'anarchie. Le western hollywoodien, c'était le troimphe de la loi contre l'état sauvage, de l'avocat contre l'Outlaw, comme dans L'homme qui tua Liberty Valence, qui porta à incandescence ce postulat.
Vera Cruz, produit par Burt Lancaster, s'inscrit dans la lignée de Bronco Apache, tourné la même année, 1954, avec le même réalisateur, Robert Aldrich, et Lancaster en tête d'affiche, qui avait déjà rompu avec quelques préjugés frappant les indiens. Dans ce nouvel opus, le sauvage et opportuniste Joe, joué par Burt,
rencontre un certain Benjamin Trane, joué par Gary Cooper,
vieux cow-boy au cuir déjà ben tanné !
Une association va naître, entre le jeunot ambitieux et l'ancien désabusé,
scellé par un pacte d'argent.
L'action se passe au Mexique, à l'époque de l'empereur Maximilien, mis en place par les français et Napoléon III. Et nos deux associés, invités à la cour impériale,
font un peu rustique, face au faste de la cour mexicaine et au port altier du capitaine Danette, joué par Henry Brandon,
qui toise d'un regard méprisant ce gringo de Lancaster !
Entre ces deux-là, la courant ne passera jamais !
Après l'arrivée de l'empereur mexicain,
qui donnèrent lieu à quelques tirs de précision,
forts bien réussis,
(avant)
(après)
nos amis passent aux choses sérieuses,
négociant avec le marquis Henri de Labordère,
la protection de la comtesse Marie Duvarre qui doit aller à Vera Cruz, et traverser la campagne mexicaine, truffée par les fidèles de Benito Juarez, qui a juré la perte des occupants français.
Le marché est conclu pour 100 000 $.
Scène d'ouverture singulière, dans cette France mexicaine peut évoquer à l'écran (Elle donnera lieu à une bataille épique dans Major Dundee, de Peckinpah, quelques années plus tard) ,qui déploie ses atours impériaux dans une scène de bal qui tranche,d'avec la production westernienne habituelle, et qui me rappele les soirées viscontiennes du Guépard, auxquelles s'invitera, 10 ans plus tard, à nouveau Burt Lancaster ! Une double opposition se met déjà en place qui sera la matrice de tout le film :
- celle de Ben contre Joe, de Gary contre Burt, l'un, vieux cow-boy idéaliste, attaché à la parole donnée et à l'honneur, l'autre, qui à l'ambition de sa jeunesse et qui cache derrière un sourire ravageur, une cupidité sans bornes.
- celle des nobles français contre les sans-grades américains, rencontre de deux mondes opposés, l'un, séculaire, qui se meurt, l'autre, issu de la société du Nouveau Monde, où les hommes naissent presque libres et égaux.
Le convoi peut donc partir, dans un carosse, version royale de la populaire diligence, couvé par le vieux Ben,
et Joe et sa bande de bras cassés, avec un Charles Buchinski-Bronson, toujours galant avec ces dames,
et Ernest Borgnine, un habitué du rôle des bads boys.
A noter aussi la présence d'un grand second rôle du cinéma américain, abonné aussi aux rôles de vilains, Jack Elam, que l'on retrouvera dans la célèbre scène d'ouverture d'Il était une fois dans l'Ouest, vous savez, le ballet avec la mouche !
Mais Ben, qui est de la vieille école, ne supporte pas vraiment qu'on manque de respect à ces dames,
et il utilisera la manière forte pour faire entendre raison à cette bande de malautrus.
Il faut dire que le grand Gary n'était pas insensible au charme de Nina, jouée par Sara Montiel.
A noter aussi la présence d'Archie Savage, le noir de service, ce qui était encore peu courant, à cette époque, illustrant la sensibilité du producteur Lancaster, aux problèmes des minorités, et dans la droite ligne de Bronco Apache. La carrière d'Archie n'eut pas le succès d'un Sidney Poitier ou d'un Jim Brown, mais on le retrouvera comme danseur dans La Dolce Vita de Fellini !!
Voilà donc que tout se calme, Ben remettant de l'ordre dans cet épisode anarchique, sous l'oeil bienveillant du marquis de Labordère.
Mais voilà que dans ses grandioses paysages mexicains, la menace se précise,
et la division s'aiguise, à cause d'un trésor caché dans le royal carosse ! Les partisans de Juarez rentrent dans la partie, convoitant aussi le noble pécule qui attise la concupiscence de Donnegan.
Mais les français ont cocufié tout le monde, en piégeant ces rustes de gringos ! Que nenni, la vengence nordiste sera terrible, et les outlaws, aidés par la piétaille mexicaine, reprendront leur du ! Mais ce qui devait arriver ...arriva ! L'ambitieux Joe, tombeur de ses dames,
n'est pas un partageux, et va s'exercer à faire le ménage,
mais il va tomber sur ce vieux Ben, qui a donné sa parole aux Juaristes,
et qui préfère perdre de l'argent que son âme ! Le duel sera inévitable, léonien, les yeux dans les yeux,
le vieux cow-boy terrassera le jeune loup,
le classicisme hollywoodien reprenant ses droits, faisant triompher la parole donnée contre la cupidité,
la bienveillance paternelle,
face à l'arrogance juvénile.
A la fin, il y a toujours une femme à sa fenêtre, comme le soulignait Leone,
et le vieux cow-boy solitaire, ayant payé sa dette, s'en va.
Je me suis souvent demandé pourquoi Vera Cruz était dans le panthéon des meilleurs westerns de l'histoire. Certainement car en 1954, il tranche d'avec la production westernienne de l'époque, faite de chevalier blanc, de grands sentiments et de triomphe de la loi. Ici, les personnages sont mus, avant tout par la cupidité, pouvant tuer père et mère pour s'approprier un magot. On retrouve cette bande de bads boys qui redeviendra célèbre, par la suite, sous la baguette de Peckinpah, et sa Horde sauvage, avec Borgnine, et surtout ce personnage de Joe, joué par Burt Lancaster, au charme vénéneux et à la cupidité sans fin, qui trompe son monde et renie sa parole pour quelques dollars de plus ! Sur cette terre mexicaine, il annoncera un autre Joe, joué par Clint Eastwood, qui 10 ans plus tard s'affichera dans Pour une poignée de dollars.
Si Vera Cruz annonce le western spaghetti, il reste, malgré tout, ancré dans la réalité hollywoodienne de son époque, avec un happy end caractéristique, et cette femme à la fenêtre finale, procédé narratif si courant dans le western de la grande époque.
Mirez la scène finale :