En 1963, Julien Duvivier, à 67 ans, tourne son avant-dernier film, Chair de Poule, un film noir, adaptation d'un roman de James Hadley Chase, avec des dialogues de René Barjavel.
Duvivier, surtout connu pour ses oeuvres d'avant-guerre, comme La Belle Equipe, la Bandera ou Pépé le Moko, dans lesquels le talent d'un Gabin "jeune", se déploiera, nous pond un petit bijou de film noir qui restera oublié des cinéphiles, Nouvelle Vague oblige !
A Paris, Daniel et Paul, joué par Robert Hossein et Jean Sorel, qui fut, par sa beauté, un concurrent d'Alain Delon,
vont se faire le coffre d'un milliardaire,
mais l'affaire tourne mal, le bourgeois se ramène,
et Daniel se fait épingler par une balle bien placée, gisant devant une Dauphine fatiguée !
L'inquiétude est à son comble, et Paul, qui a occis le milliardaire, fait par de ses doutes à son blonde amie,
Simone, jouée par la regrettée Nicole Berger, morte 4 ans plus tard, à 32 ans, dans un accident de la route. Condamné à 20 ans, Daniel arrive à s'évader,
et se réfugie dans l'arrière pays niçois, aux alentours de la commune de Bouyon. Dans les paysages majestueux des Alpes-Maritimes, le voyou va croiser la route de Thomas, bon bougre de commerçant, joué par Georges Wilson.
Thomas tient le Relais du Col, une station essence "Avia" qui fait restaurant,
où il fait bon "boire et manger".
Mais le "trésor" de ce vieux Thomas, ce n'est pas sa station-service, mais sa jeune femme, Maria, jouée par Catherine Rouvel, panthère sulfureuse, qui n'a point peur des hommes !
Daniel est intrigué par la présence de cette "bombe", dans ce trou perdu,
femme d'un commerçant dodu, dont le regard laisse percer des intentions pas très catholiques ...
Surtout que la nuit tombée, la belle laisse sa fenêtre ouverte,
pour attirer le chaland ...
Daniel est sous le charme, aimanté par la démarche suave de la jeune femme,
qui prend des poses étudiées pour électrifier le perceur de coffre !
Daniel devient l'employé de Thomas, tenant le comptoir,
entre le cognac Bisqouit et le Cinzano, et s'occupant du beau-frère, ce vieillard lubrique de Lucien Raimbourg,
qui vient fureter lorsque les propriétaires sont absents et qui est fort intrigué par la présence de cet employé !La belle Maria, en épluchant les patates, tombe sur un reste de Journal éclairant, qui parle du "perceur de coffre" évadé, et, machiavélique, va proposer un marché au voyou :
Le contenu du coffre de Thomas, symbole de liberté contre son silence !
Daniel hésite, effrayé par le cynisme de la jeune femme et incapable de trahir un homme qui l'a aidé, et avec qui il partage une saine amitié.
Mais lors d'une nuit pluvieuse, alors que le commerçant s'arrache pour un rendez-vous citadin,
Daniel, sous la pression de Maria, craque, et s'en va s'occuper du coffre,
avec ses mains d'or,
surveillé par la tigresse !
Mais le commerçant revient de manière inopportune, à cause d'un arbre tombé, découvrant le pot aux roses,
devant un Hossein humilié !
Daniel vend la mèche, et accuse la jeune épouse de l'avoir poussé à ouvrir le coffre, sous-peine d'un petit tour à la gendarmerie ! Mais la Maria ne s'en laisse compter, épuisée par sa vie monotone, elle est prête à tout pour se saisir du magot et pour prendre la poudre d'escampette !
Mais voilà, Thomas se rebelle et sa femme commet l'irréparable, en tuant le commerçant, illico presto enterré dans le garage, nouant entre les deux protagonistes un pacte macabre !
Mais Maria a un atout imparable, sa séduction, à laquelle Daniel ne va pas tarder à succomber,
un soir de solitude trop marquée,
mettant dans sa poche ce "perceur de coffre" méfiant !
Car la disparition de Thomas attire les curieux, dont ce paysan de beau-frère,
qui sent un peu l'embrouille,
et qui n'est sauvé que par ce curé de Jean Lefebvre,
protégeant le vieillard de l'ire de Daniel !
Mais un nouveau réapparaît, le bellâtre Paul, compagnon d'armes de Daniel,
qui va de suite taper dans l'oeil de la belle,
un coup de foudre,
partagé !
Alors que les deux jeunes vont conter fleurette au village d'à côté,
s'enlaçant comme des jeunes premiers,
Daniel//Robert Hossein fait face à deux paysans dégénérés,
par un possible magot caché alléché !
Mais le vioque édenté se laisse déborder,
et au final, Daniel s'en tirera simplement blessé !
Les deux nouveaux amants profitent de la situation et Paul s'occupe du coffre-fort,
retirant le magot et éliminant l'av(é)ide Maria !
Entre voyou, point de cadeau, et c'est le beau Paulo qui s'enfuira avec le magot ...pas pour longtemps, puisque poursuivi par la Police, et faisant demi-tour, il viendra s'empaler sur les pompes à essence, sur le regard hilare d'un Daniel, sauvé des eaux !
Ce huis-clôs étouffant, dans l'arrière-pays niçois, vaut d'abord par son casting, avec un Georges Wilson en bon commerçant, accompagné par sa jeune femme, Catherine Rouvel, une garce au charme vénéneux. Il y a chez Duvivier une vision de la femme-diablesse, dévoreuse d'hommes et intéressée, qui atteint son point culiminant dans ce film, qui rappelle Le facteur sonne toujours deux fois. Les seconds rôles ne sont pas oubliés, avec un Lucien Raimbourg qui campe avec bonheur un paysan décérébré à l'opposé d'un Jean Sorel, irradiant de beauté, concurrent oublié d'Alain Delon. Sorel, dans les années 60 tournera avec les plus grands, Visconti, Bunuel, et se fourvoiera dans le cinéma italien de série B, pour ne pas dire plus, tournant des nanards avec le maître de l'horreur bas de gamme, Lucio Fulci !
Tout le sel de l'histoire tourne autour de Maria, séductrice effrénée, jouant de ses charmes pour manipuler les hommes, mentant à l'un, couchant avec l'autre, pour arriver à ses propres fins. Il y a chez Hadley Chase et Duvivier, la contemplation d'un monde cynique, dévoré par l'argent, où même les hommes qui ont de l'honneur finissent soudoyés, les Pascal corrompant l'amour et l'amitié, sur l'autel de la cupidité !
Ce film extrêmement noir, adaptation francisée d'un roman américain, est resté curieusement oublié par les cinéphiles, certainement parce que Duvivier, symbolisant ce cinéma de qualité "à la française", qu'aborraient les "talibans" de la Nouvelle Vague, fut voué aux gémonies !
Or, par la maestria de sa réalisation, la qualité des interprètes et l'intensité de la narration, Chair de poule reste, pour moi, un des meilleurs film noir des années 60, à redécouvrir de toute urgence !